Markist a el khodja thachdhah
De nombreux événements inhabituels avaient marqué cette année 1870. L’Algérie sous autorité militaire depuis 1830 passe sous le régime civil, avec pour conséquence pour les chefs féodaux indigènes, la perte de leur influence sur les tribus. La fin de règne des bureaux arabes, véritable tête de pont de la colonisation dans les zones non administrées par les civils français. La disparition de cette administration tampon mettra les paysans algériens face aux colons français sans aucun médiateur pour absorber les chocs.Les décrets Crémieux,attribuaient aux juifs la nationalité française et tous ses privilèges, alors que les musulmans en étaient privés, avait constitué selon certains historiens la goutte qui avait fait déborder le vase. L’utilisation des Spahis, garde rurale musulmane, dans la guerre contre la Prusse, s’ajoutera à tous ces changements trop rapides pour lsociété indigène terrassée par la famine due aux mauvaises récoltes, conséquentes à la spoliation des meilleures terres parles colons. A croire que le soulèvement des algériens était sciemment recherché et provoqué par les colons qui voyaient dans cette année 1870, devant la faiblesse générale du régime français, le moment propice pour faire valoir leur point de vue. L’état d’esprit du coté des algériens était à la révolte. Le sentiment national et l’esprit d’indépendance suffisaient en réalité à expliquer la mobilisation de nombreuses tribus qui ne supportaient plus le mépris des colons et leurs exactions. On entendait alors " faire partir tous les fusils à la fois dans un dernier effort pour chasser le français du
pays " La mutinerie des Spahis qui refusaient de partir sur le front de laPrusse, les premières défaites de l’armée française contre la Prusse, la captivité de Napoléon III, l’annonce de la prise de Paris par l es Prussiens, ont crée un climat de fièvre amplifié par l’arrivée du fils de l’Emir Abdelkader annonçant l’imminente arrivée d’une armée Turque pour libérer l’Algérie Ceci excita le patriotisme des tribus kabyles pour lesquelles les événements de la commune de Paris apportaient beaucoup d’assurance. A Alger les colons s’en prenaient aux militaires, le climat était à la guerre entre les français. " Dieu les a frappés, ils ne se reconnaissent plus entre eux, ils sont devenus fous "C’était le moment de se révolter et frapper le colonisateur apparemment désorienté.On se réunissait dans les cafés, les Djemââs et les souks, on amplifiait les appels à l’insurrection .On s’armait, on constituait la logistique de guerre. Les chefs reconstituaient les çoffs, les ligues (chartya) qui surveillaient lescaïds et les traîtres potentiels !
Fin janvier les hostilités débutèrent à Mila pour s’étendre vers Souk-Ahras. Le Titteri s’embrase début février, à la mi-mars les Mokrani passent à l’action. La zaouia Rahmania fédère toute ces forces sous le commandement du fils de Cheikh Aheddad, et proclame la guerre sainte le 8 avril à partir de Seddouk ; Et la guerre commença.Le soulèvement de 1871 offrira à la colonisation l’occasion d’en finir avec toutes les jacqueries et les révoltes qui menaçaient l’ordre colonial et sonprojet "civilisateur"
"J’entrerai dans vos montagnes
Je brûlerai vos villages, vos maisons
Je couperai vos arbres fruitiers
Et alors ne vous en prenez qu’à vous seuls"
Voilà l’essence de la logique coloniale, comme celle de la fable du loup et de l’agneau, résumée par ces propos du Maréchal Bugeaud dès 1845.
Passée l’euphorie de la mobilisation, les 200 000 paysans insurgés mal armés, conduits par des chefs inexpérimentés devenaient une véritable chair à canon pour les troupes régulières coloniales, leur cavalerie et surtout leur artillerie. " Les colonnes infernales " rasaient les villages, tuaient femmes et enfants et incendiaient les habitations. Louis Rinn donnait 2686 morts français durant cette insurrection pour un rapport sous évalué de 1 à 50, le nombre de tués du coté algérien dépasserait les 100 000 ! Exactions, incendies, viols, coupures d’arbres, démolitions de maisons, achèvement des blessés à la baïonnette, le témoignage du général Cerez en avril 1871 résume assez bien cette atmosphère de fin du monde : " A Souk-el-Khemis j’ai fait vider les silos pour nourrir ma cavalerie, j’ai fait brûler les quatre-vingt maisons des Ouled-Meslem... Le génie a coupé tous les arbres fruitiers pendant que la cavalerie brûlait le village d’El-Hemmam " Les chansons des jndigènes de l’époque témoignent de la férocité de la répression :
"1871 fut l’année de notre ruine
Elle nous brisa les reins
O ma bouche continue de chanter... "
Une autre complainte disait :
" En quatre mois le feu s’éteignit
Les nœuds les plus solides se délièrent
Et tout le monde connut la misère
L’impôt s’abattit sur nous à coups répétés...
Les gens ont vendu leurs arbres à fruits
et même leurs vêtements
C’est pour eux une époque terrible... "
Deux millions et demi d’hectares de terre sont placés sous séquestre ! 313 collectivités son dépouillées de leurs biens, les terres de sept tribus considérées comme instigatrices de l’insurrection sont totalement accaparées ! On appliqua le système de la triple sanction aux indigènes .comme belligérants vaincus, comme ndigènes insurgés et comme habitants résidant sur le territoire français.
Le montant des amendes infligées dépassa les 70 millions de francs ! Les dernières tranches avaient été payées vers 20 ans après le déclenchement de l’insurrection ! Un droit de la dépossession fut institué au nom de l’efficacité des mesures préventives : "Il n’y a pas d’illusion à se faire. La contribution de guerre ne serait efficace pour la prévenir que si on la poussait à la ruine totale..."
Les principaux chefs furent jugés et déportés vers le bagne de Cayenne ou en Nouvelle Calédonie. Ils
seront nombreux à ne plus revoir le sol natal ! Des centaines d’autres condamnés les rejoindront dans une succession de convois et de navires ! Ils rencontreront d’autres insurgés, ceux de la commune de Paris. Durant des années les correspondances de ces derniers témoigneront de ce douloureux et lointain exil.
Dans de nombreux douars écrasés par la défaite, les colons vainqueurs et leurs supplétifs, s’adonnèrent à des pratiques immorales dégradantes pour déshonorer l’indigène vaincu. En plus du séquestre des terres, de la déportation des chefs vers les bagnes lointains, de la confiscation du bétail et des biens mobiliers et immobiliers, on s’attaqua à la dignité de l’indigène, son nif ! On organisa des fêtes villageoises à la gloire des armées coloniales et de leurs goums. Les nervis et les voyous à la solde des caïds locaux étaient chargés de discréditer les femmes sans défense. La mémoire collective a retenu, à travers des récits qui se recoupent, une pratique humiliante qui consistait à obliger les veuves des combattants indigènes à danser en public au rythme des tambourins et de la cornemuse des tambourinaires. Cette pratique d’avilissement tourna souvent au tragique ; de nombreuses jeunes filles livrées aux supplétifs de l’armée coloniale préférèrent le suicide au déshonneur ! On arrangeait donc d’interminables parties de danse où les femmes des vaincus devaient occuper la scène jusqu’à l’épuisement total. Dans ces arènes de l’opprobre où la canaille jouissait du spectacle, un secrétaire (Khoja) tenait l’inventaire de toutes les danseuses, un caïd lui ordonnait : " Markits a el khodja thechdhah " ( Notes, Khodja, qu’on se souvienne qu’elle a dansé''!
De nombreux historiens noteront que la haine semée par les colons au bout de leur victoire de 1871 a germé doucement pour emporter leurs enfants en Novembre 1954.
Rachid Oulebsire
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