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Mouna Hachim est titulaire d’un DEA en littérature comparée. Depuis 1992, elle a éprouvé sa plume dans les métiers de la communication et de la presse écrite. Passionnée d’histoire, elle a publié en 2004 «Les Enfants de la Chaouia», un roman historique et social, suivi en 2007 d’un travail d’érudition, le «Dictionnaire des noms de famille du Maroc».
Plus abondantes les productions sur un ‘Oqba Ibn Nafi‘, conquérant du Maghreb qu’un Aksil, chef de tribu amazighe et farouche résistant à la conquête musulmane.
Dans le prolongement de notre série en dehors du temps et non-conventionnelle, concentrée sur des événements hors-normes et personnalités rebelles, j’ai choisi cette semaine la figure passionnante de Koceila. Car elle dit à elle seule, la relativité des mythes fondateurs, les erreurs du système népotique omeyyade, la complexité des alliances politiques et des attaches humaines à travers les siècles.
Son nom d’abord. Il est dit Aksil en amazighe, transcrit dans les sources arabes Kosayla ou Kusila. Rapproché de la forme latine Caecilianus, il est construit à partir de la racine berbère KSL dont serait dérivé le nom Aksel, désignant le guépard.
La tribu dont il est le chef réside le long de la bordure méridionale du Tell, notamment les régions des Aurès et du Zab (dans le sud tunisien et algérien). Elle est formée par les sédentaires Aouraba du groupe Branès selon la fameuse classification des Berbères établie par Ibn Khaldoun. C’est ainsi que les chroniques arabes adjoignent à son prénom, les ethniques El-Aourabi et El-Baranssi.
Quant à sa confession, elle est chrétienne et laisse imaginer au vu de son rang social une culture latine en plus de son rapprochement signalé avec le monde byzantin. Cet empire, successeur de Rome en Afrique du Nord au nom de la défense de la chrétienté après la déferlante des envahisseurs barbares d’outre-Rhin, est représenté d’abord en Africa par le général Bélisaire qui remporta la victoire contre les Vandales, tandis que la pacification du territoire reste laborieuse du fait des révoltes des Berbères.
C’est dans ce contexte que survient peu après la conquête musulmane qui s’enrichit au fil du temps, au fur et à mesure de sa progression vers l’ouest, d’apports de tribus converties à l’Islam pour certaines de leurs branches. C’est le cas pour les Louata et les Nefoussa depuis Barqa en Cyrénaïque, puis les Maghraoua avec à leur tête Soulat ben Wezmar, et toutes ces tribus berbères converties avec la fondation de Kairouan…
Sous le califat de ‘Omar déjà, avec le général ‘Amr Ibn Al-‘As la conquête de l’Egypte (dont il sera nommé gouverneur) entraîne, dans la foulée, la marche sur Barqa et sur Tripoli.
Avec l’avènement du troisième calife ‘Othmane, du clan des Béni Omeyya, fondateurs de la dynastie omeyyade avec Damas pour capitale est nommé nouveau gouverneur d’Egypte, le frère de lait, ‘Abd Allâh Bnou Saâd. Il est également invité à la conquête du Maghreb en contrepartie du cinquième du cinquième du butin ainsi que le rapportent les annales.
Les premières campagnes ont lieu en 647 à la tête d’une grande armée se soldant par la prise de Tripoli, puis de Sbeïtla dans une bataille où trouve la mort l’exarque de Carthage, le patrice Grégoire et où furent faits de nombreux prisonniers échangés moyennant une forte rançon. On rapporte aussi la conversion à l’Islam dès cette date de Saoulat ben Wezmar Zenati, ancêtre des Beni Khazar, rois de Tlemcen. Mais les vainqueurs ne disposant pas des moyens nécessaires pour assiéger les villes, se retirent en 648.
Sous le gouvernement de Mu’awiya Ben Houdaij sont enregistrées une victoire contre les Byzantins en Ifriqiya, ainsi que la prise de Soussa et de Bizert.
Mais c’est surtout avec le général ‘Oqba Ibn Nafi‘, envoyé en 670 à la tête des armées musulmanes par le calife omeyyade Mu’awiya qu’on voit s’ouvrir une page décisive dans l’histoire de la Conquête du Maghreb, marquée par la fondation de Kairouan.
Aksil entre en scène durant la période intermédiaire qui a vu la révocation de ‘Oqba et la nomination à sa place de Ibn Mouhajir Dinar qui serait le premier prince musulman à franchir le Maghreb central. Koceila lève alors son armée mais il est vaincu près de Tlemcen, se convertit à l’Islam, tout en restant aux côtés du vainqueur dont il fut proche collaborateur.
C’est ainsi qu’avec la nouvelle nomination de ‘Oqba à la tête du Maghreb en 681 et au vu des inimitiés personnelles entre les deux chefs arabes, c’est Koceila qui en paie les frais en subissant un tas de brimades.
A l’aide de son contingent (enrichi de convertis berbères, appelés «Mawâli»), ‘Oqba entame une grande chevauchée jusqu’au rivage de l’Atlantique, non sans provoquer quelques soulèvements de tribus, tout en bénéficiant d’appuis d’autres chefs berbères dont le prince Yulian Ghomari (le comte Julien de confession chrétienne). Pendant ce temps-là, Koceila fait partie de son armée et l’accompagne dans son expédition qui le mène à Tanger, dans le Zerhoun, Safi, et même dit-on, jusqu’au Souss…
Malgré sa conversion, il est traité en vassal et subit une politique d’humiliation publique dont l’un des traits marquants rapporté par les chroniques historiques (d’un Ibn Khaldoun ou Ahmed ben Khalid Naciri) est cette anecdote significative: Un jour, ‘Oqba ayant exigé d’Aksil qu’il écorche un mouton, celui-ci fit appel à ses hommes pour cette besogne subalterne, devant le refus de ‘Oqba qui insista durement pour qu’il l’accomplisse lui-même. Se faisant, Koceila s’enquit de la tâche dégradante en essuyant à chaque fois de sa main sanglante sa barbe. Un geste interprété par un Cheikh arabe comme une menace de vengeance, tandis qu’Abou Mouhajir, laissé dans les fers, réprimanda ‘Oqba en lui rappelant le traitement digne réservé par le Prophète aux chefs soumis, l’erreur de faire naître la rancune dans le cœur d’un homme, nouvellement converti, qui plus est, des plus distingués parmi son peuple; et de se préparer à sa perfidie…
Ainsi fut fait. A la fin de l’expédition, sur le chemin de retour, Aksil reprit ses correspondances avec les Byzantins et profita d’une occasion pour prendre la fuite. Son armée augmentait pendant que celle de son ennemi diminuait en raison de la défection des Berbères, sans oublier la présence des Roums. Guettant le moment propice, elle surprit la colonne de ‘Oqba séparé de ses troupes, à Tehouda, non loin de Biskra et le tua en 683 ainsi que trois cents de ses hommes.
Ensuite, Aksil marcha sur Kairouan, base permanente pour les troupes musulmanes du Maghreb, provoquant la panique chez les chefs arabes dont certains prônaient carrément la fuite en Orient, alors que le compagnon d’Oqba, Zouhaïr Bnou Qays se réfugia à Barqa dans l’attente des renforts, ses troupes ayant refusé de lui obéir et d’attaquer les Berbères. Ce n’est que trois ans plus tard qu’arrivent les hommes et l’argent à la rescousse, compte tenu des troubles politiques qui avaient éclaté dans les pays du Couchant. Une grande bataille oppose en 688 à Mems à trente kilomètres à l’ouest de Kairouan l’armée de Zouhair et celle de Koceila qui est finalement tué dans la bataille après avoir régné durant cinq ans avec Kairouan comme siège de son autorité.
Mais si Aksil est mort, il lui succédera dans la prise des armes contre les troupes arabes, la reine des Aurès, Dihya, dite la Kahina (la Prêtresse) défaite contre Hassan Ibn Naâmane.
Quant à la grande tribu dont est issu Koceila, elle redessina d’autres pages de l’histoire. Ce sont en effet les Aouraba, avancés dans le sillage de la Conquête musulmane en Occident extrême qui s’établirent dans la région de Taza, dans le Rif et dans la région du Zerhoun, précisément à Walili (Volubilis), où ils soutinrent plus tard la cause de l’Oriental Idris Ier qu’ils proclamèrent Imam, en lui accordant en mariage, leur fille, Kenza l’Awrabienne, mère de tous les Idrissides. Mais là est déjà une autre histoire…
Michel Terrier