Eespèces et communautés rares ou menacées de la région méditerranéenne
Dans les pays de la partie septentrionale du bassin méditerranéen, l'effondrement du système
agrosylvopastoral multiséculaire entraîne de profondes modifications dans la structure et l'architecture des phytocènoses forestières et préforestières, et, d'une manière générale, une maturation des peuplements forestiers (Barbero et al., 1990). En Afrique du Nord, les bouleversements écologiques induits par la déforestation et le surpâturage engendrent des dysfonctionnements graves, et les forêts en haute montagne sont particulièrement touchées. En dépit du fait que les processus écologiques et socioéconomiques varient d'une région à l'autre, les conséquences écologiques qui en résultent sont très similaires: i) dérèglements des cycles naturels de perturbations et déséquilibres écologiques engendrant des catastrophes climatiques se déroulant sur de vastes échelles; ii) homogénéisation des structures et architectures des communautés végétales; iii) perte nette de diversité biologique et banalisation de la flore; et iv) extension des xérophytes à travers l'«artificialisation» des milieux qui font concurrence aux végétaux indigènes en sous-bois.
Divers travaux récents ont cherché à évaluer les risques encourus par l'ensemble de la flore méditerranéenne (Gomez-Campo, 1985; Médail et Quézel, 1997), et l'Alliance mondiale pour la Nature (UICN) a publié un bilan général relatif à la florecircum-méditerranéenne indiquant que 53 pour cent des espèces endémiques sont menacées, soit 1 529 taxons (en excluant la République arabe syrienne, le Liban et la Turquie). Cependant, les données sur les végétaux forestiers menacés en région méditerranéenne sont encore très fragmentaires. Bon nombre d'arbres d'Afrique du Nord (Olea marocana, Pyrus div. spp., Pinus nigra subsp. mauretanica, etc.) ne figurent pas dans la liste des espèces ligneuses menacées sur l'ensemble du globe qui fait partie d'une étude récente effectuée
par l'UICN (Oldfield, Lusty et McKinven, 1998), et ils ne figurent pas non plus dans le 1997 IUCN Red list of threatened plants (Walter et Gillett, 1998); ces deux études ne font état que de 45 espèces ligneuses menacées dans le bassin méditerranéen, alors qu'en fait, on en a répertorié 71. Le nombre
d'espèces endémiques figurant sur cette liste (48) - nombre d'entre elles étant des espèces rares progénitrices de végétaux cultivés ou qui représentent un pool génique intéressant (Malus, Olea, Phoenix, Prunus et Pyrus) - souligne tout l'enjeu de la conservation de ces arbres.
Les communautés forestières menacées du bassin méditerranéenne n'ont pas fait l'objet, à ce jour, d'une enquête à grande échelle, seuls quelques jalons ayant été posés dans cette direction (Quézel et Barbero, 1990; Quézel, 1991). Les peuplements forestiers peuvent être menacés à cause de: i) leurs exigences écologiques particulières, notamment la nature du substrat, qui en font des systèmes naturellement exigus (cas de certains groupements gypsicoles ou serpentinicoles); ii) leur situation marginale sur le plan chorologique(limites d'aire, isolats), qui s'explique souvent par des compensations bioclimatiques (communautés abyssales) ou des raisons historiques (refuges pléistocènes), comme dans le cas du peuplement de Dracaena drago du sud-ouest marocain (Médail et Quézel, 1999); mais surtout iii) desimpacts anthropozoogènes intenses et généralisés que subissent ces communautés, à l'orgine largement répandues.
Dans le nord de la Méditerranée, les peuplements relictuels de Abies nebrodensis et Zelkova sicula (entre 200 et 250 individus) de Sicile sont les plus sérieusement menacés, tandis que Abies pinsapo, Quercus petraea subsp. huguetiana d'Espagne et Pinus nigra subsp. dalmatica de l'ex-Yougoslavie, bien que localisés, semblent un peu moins menacés. Sur le littoral méditerranéen français, les ensembles thermoméditerranéens préforestiers (formations à Ceratonia siliqua et Chamaerops humilis, à Olea et Euphorbia dendroides) et forestiers (chênaies vertes matures à Laurus nobilis ou Cyclamen balearicum et chênaie pubescente à Cyclamen repandum), régressent en raison de l'urbanisation ou de la fragmentation, responsable d'extinctions locales d'espèces ou de l'isolement des populations.
Au sud de la Méditerranée, la plupart des forêts sont menacées, à des degrés divers; au Maghreb (Quézel et Barbero, 1990; Quézel, 1991), la situation est particulièrement préoccupante pour les sapinières à Abies maroccana et A. numidica, les peuplements de Pinus nigra subsp. mauretanica,Cupressus atlantica, Betula pendula subsp. fontqueri, Olea marocana, Laurus azorica, Quercus afares, Q. faginea subsp. tlemcenensis, etmême pour certaines formations à Argania spinosa, Cedrus atlantica,
Tetraclinis articulata et Juniperus thurifera.
En Méditerranéeorientale, la gestion forestière plus stricte (surtout en Turquie) et la
participation des populations locales aux bénéfices d'exploitation se sont traduites par un meilleur état de conservation des forêts (Quézel et Barbero,1990); cependant, certaines communautés méritent un contrôle continu: Abies nordmanniana subsp. equi-trojani, Quercus aucheri, Liquidambar orientalis et Fagus orientalis en Turquie, formations à Cedrus brevifolia et Quercus alnifolia à Chypre, peuplements diffus de Zelkova abelicea et Phoenix theophrasti en Crète, peuplements à Abies
borisii-regis, Aesculus hippocastanum et Pinus heldreichii.
P. Quézel, F.Médail, R. Loisel et M. Barbero
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